2e BUREAU & SYLVIE GRUMBACH. DE L'AVANT-GARDE À AUJOURD'HUI - MILLON 2023
La mode en fête
Inclassable, Sylvie Grumbach l’est tout autant que sa garde-robe. Enfant du sérail - petite-fille de Cerf Mendès France, fondateur de la maison Mendès, sœur de Didier Grumbach, ancien président de la Fédération française de la Couture, du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode - la future muse des nuits parisiennes grandit dans l’ouest parisien vêtue de ses tenues. La Châtelaine, observant avec curiosité la couturière qui vient chez elle tous les mardis pour faire des ourlets ou recoudre des boutons.
La jeune fille a le privilège de choisir ses jupes plissées parmi les pièces de prêt-à- porter Jean Patou, et de passer ses vacances scolaires à jouer les habilleuses de mannequins dans l’entreprise familiale. Peu férue d’études, elle quitte très vite les bancs de l’université pour accumuler les stages, de la Woolmark à CPC (bureau d’achat) - où elle se fait rappeler à l’ordre pour avoir osé venir travailler en pantalon.
Début des années 1970 : avec Didier et Andrée Putman, elle se lance dans l’aventure « Créateurs et industriels ». Le terme de « créateur », banalisé aujourd’hui, est à l’époque un quasi-néologisme désignant le prêt-porter novateur en opposition à la haute-couture hégémonique. Elle y assure des tâches aussi diverses que la presse, le commercial, ou la gestion du magasin éponyme de la rue de Rennes avant de consacrer désormais son temps à la maison Valentino.
De jour. Car la nuit, Sylvie, dorénavant habillée par le couturier italien, dîne au Sept avant de descendre au sous-sol danser jusqu’au lever du soleil. Lorsque Fabrice Emaer, fondateur du club, voit plus grand et migre au Palace, il emporte avec lui le papillon de nuit. Sylvie, femme de mode, sera chargée de faire venir son petit monde dans ce nouveau lieu majestueux. « L’histoire du Palace est sociétale, c’était la grande époque du mélange des gens et des genres », se souvient cette longue silhouette de la nuit parisienne. « La beauté du lieu, son essence théâtrale, sa lumière, faisaient que chacun se mettait en scène. Peu importe la parure, on ne pouvait tout simplement pas entrer au Palace en traînant des pieds ». Et Sylvie ne déroge pas à la règle : qu’elle porte du Montana, de l’Alaïa, du Vivienne Westwood, du Kenzo ou du Mugler, elle réussit le prodige de jongler avec les styles tout en imposant le sien. « Je passais d’un personnage à l’autre, mais j’étais toujours la même », confirme-t-elle. Guidée par sa sensibilité et en accord esthétique avec les créateurs qu’elle décidait de porter, elle racontait, par ses choix vestimentaires, une histoire : celle de son goût et, plus profondément, celle de sa personnalité
La mort de Fabrice en 1984 marque un tournant. Adieu les noctambules, l’oiseau de nuit travaillera désormais dans la lumière. Elle fonde 2e BUREAU et conjugue habilement ses expériences de presse, de relations publiques avec les écosystèmes qui l’ont vue grandir - mode, musique, photo, art - pour une véritable synergie entre les disciplines. Pas question pour celle qui avait touché à la presse musique, spectacle, ou encore people, de se cantonner à la mode. Vivienne Westwood, rencontrée au Palace, embarque rapidement pour cette nouvelle aventure ; son comparse Malcom McLaren, manager de groupes de rock anglais, la conforte dans cette envie de composer un bureau d’un genre nouveau, alliage de différentes matières artistiques, et dédié à des clients étrangers.
La fête n’en est pas pour autant finie : Sylvie, appelée par Hubert Boukobza devient RP des Bains Douches et continue de célébrer la mode, à une époque où l’on vend encore des fantasmes, et pas que des produits. L’égérie serait-elle nostalgique ? Un brin, et soyons honnêtes, il y a de quoi ! « Les médias étaient libres et prescripteurs. Le poids des journalistes de mode , leurs légitimité à lancer les tendances se reflétaient dans les silhouettes de la rue. Quant aux attachées de presse, elles ne se contentaient pas de promouvoir un produit ; elles faisaient tous les métiers à la fois, assistant aux essayages en amont de la présentation et participant aux castings et à la production des défilés. Elles étaient au plus près des collections, imprégnées de l’esthétique du créateur. ».
Aujourd’hui, 2e BUREAU accueille dans son écurie des clients aussi divers que les salons Première Vision et Première Classe, la Villa Noailles, Reporters sans frontières, le festival de photojournalisme Visa pour l’Image ou encore la Fondation Azzedine Alaïa. Son clan : une équipe de fidèles parmi les fidèles ; aux côtés de Sylvie Grumbach officient Martial Hobeniche, Marie-Laure Girardon, Valérie Bourgois, Hugo Howlett, Mathilde Sandlarz et Marie-René de La Guillonnière.
Et le style dans tout ça ? « La fast-fashion est mal fabriquée, les vêtements n’ont plus aucune tenue, aucune structure. Depuis l’avènement des jeans, des doudounes et des sneakers, les gens bien habillés sont généralement en vintage ! », remarque Sylvie.
Gageons qu’avec cette vente dédiée à la fois aux archives de 2e BUREAU, notamment Vivienne Westwood et John Galliano époque 90s et aux vêtements personnels de Sylvie, plus contemporains, dont les japonais Koji Tatsuno et Kenta Matsushige - les chanceux.euses acheteurs.euses redonneront une seconde vie à ces pièces de collection.